Aussi étonnant que cela puisse paraître, le gouvernement voudrait encourager la toxicomanie dans ce pays qu'il n'agirait pas autrement! C'est le sens de la réforme annoncée de la législation sur le cannabis, une loi scélérate d'ancien régime qui condense les travers de la dictature déchue: répressive et immorale tout en se prétendant morale et éducative.
Une fausse réforme
L'attitude que nous retrouvons chez les initiateurs de cette fausse réforme est de se réclamer de l'éthique et de la raison en les violant avec un texte minimaliste ne servant que les trafiquants. Car le fléau de la toxicomanie ne vient pas de la consommation, mais de ceux qui l'encouragent, les réseaux maffieux.Or, la réforme ne fait rien de concret ni d'efficace contre de tels réseaux. Elle continue à se concentrer sur les victimes, maintenant la répression des consommateurs qui méritent plutôt d'être aidés et non d'être encouragés à consommer.
Il a été prouvé que cela n'est possible que dans le cadre d'une loi compréhensive qui libéralise la consommation tout en l'encadrant et encourage surtout l'action des associations d'aide aux toxicomanes.
Que propose-t-on au juste? De ne plus réprimer une première consommation. Pourquoi donc n'agit-on pas plutôt en amont en sévissant contre les réseaux d'offre à la consommation? Le gouvernement, en continuant à criminaliser la consommation des drogues douces, ne viole-t-il pas la promesse électorale du président?
Sauf à pratiquer un double langage dont nous ne pouvons le soupçonner, M. Essebsi s'était clairement engagé à la dépénalisation de la consommation. C'est d'ailleurs l'orientation la plus sage préconisée par les plus sensées des institutions, l'ONU y comprise.
C'est donc encourager la toxicomanie que de ne pas décriminaliser la consommation, toute consommation du cannabis pour ne se préoccuper que des réseaux de contrebande, les seuls coupables en la matière, tous les consommateurs n'étant que leurs victimes.La vérité à rappeler sur le cannabis
Le cannabis fait l'objet d'une criminalisation absurde. Il a été prouvé qu'il n'est pas plus dangereux que la cigarette, outre de multiples bienfaits thérapeutiques. Ce sont de purs intérêts mercantiles qui ont imposé sa pénalisation.
Le cannabis ou chanvre indien était connu et utilisé par l'homme depuis la nuit des temps. Les civilisations asiatique et pharaonique l'utilisaient pour ses vertus médicinales.
On le retrouve dans le monde gréco-romain, utilisé aussi bien pour se soigner que pour les tâches quotidiennes, puisqu'on tirait de la plante d'excellentes cordes à la robustesse légendaires, notamment en mer sur les bateaux en plus de la voilure des barques; et la plante servait aussi à la confection de vêtements.
En Arabie, le chanvre était importé et utilisé dans l'industrie du papier. Sa culture fut bien développée chez les Arabes qui en ont assuré l'extension dans le monde méditerranéen avec l'arrivée de l'islam en Afrique et en Europe.
Il ne serait d'ailleurs pas faux de dire que la civilisation arabo-islamique doit au chanvre son extraordinaire extension puisqu'il était à la base du papier, support des sciences et du savoir arabo-islamiques.
Il est vrai aussi que le monde musulman s'est distingué par l'existence d'une secte qui usa assez tôt de cette drogue à des fins criminelles, les fameux Assassins du chiite dissident Hassan Ibn Assabbah. Il fit du nid d'aigle d'Alamut, au nord-ouest de l'Iran actuel, une base de son activité intégriste zélote encouragée par l'impérialisme et les dictatures étouffant les libertés des Arabes du temps de l'apogée de leur civilisation.
C'est depuis cette date que le chanvre fut appelé Haschich et a été interdit en terre d'islam; ce fut en Égypte, en 1378, donnant lieu aux premières persécutions des consommateurs.
Pour l'époque moderne, c'est aux États que la pénalisation commença en réaction des puritains à l'échec retentissant de la politique prohibitionniste en matière d'alcool en vigueur dans le pays de 1919 à 1933.
Le chanvre, une plante à ne pas diaboliser
Car le cannabis avait une popularité certaine comme succédané à l'alcool, et on commença à établir un lien mythique entre la consommation de cannabis et la criminalité.
On mit donc l'accent sur les ravages en termes de santé de l'usage de ce que l'on commença à appeler marijuana, omettant de noter que c'est l'usage exagéré, tout comme c'est le cas pour l'alcool ou les cigarettes, qui devait être stigmatisé et non l'usage modéré ou à but thérapeutique.De fait, derrière pareille campagne, il y avait non seulement des intérêts puritains, mais aussi des secteurs industriels de plus en plus inquiets de la menace que les usages multiples du chanvre entraînaient sur leur activité propre, comme ceux des industriels du coton, de la chimie, du pétrole, du nylon et du bois ou les forestiers et les magnats de la presse.
Pour toutes ces industries, le chanvre constituait une menace sérieuse. En tant que produit naturel et peu coûteux, il contrecarrait les intérêts de l'industrie textile avec ses fibres, naturelles comme le jute, ou synthétiques, tel le nylon.
Il concurrençait surtout l'industrie forestière et celle du papier, axées sur l'usage intensif du bois au risque de déboiser la planète et lui faire courir les plus graves dangers environnementaux.
Le chanvre ne doit pas être diabolisé du fait des méfaits des trafiquants et des réseaux maffieux; il a été et redevient un symbole contestataire.
Il l'a été surtout chez les artistes américains, notamment du jazz, qui plaidèrent de la meilleure façon la cause du cannabis dans les années cinquante. Et il redevient cette marque d'une contre-culture, celle de la contestation de l'ordre établi et de la dictature morale des institutions. En effet, notre jeunesse en use pour manifester son rejet de ses élites cacochymes qui sont déconnectées des réalités du pays.
Il faut donc se rendre à l'évidence incontournable qu'en tant que symbole contestataire, le chanvre est aujourd'hui, dans notre société comme dans le monde entier, au cœur de la révolte de la jeunesse contre un monde politique figé sur des institutions dépassées et des lois vermoulues ne servant point l'intérêt de leurs sociétés éprises de plus de libertés.
La bataille de la dépénalisation du cannabis, pour une première consommation comme pour une consommation invétérée, est à la base du combat pour la démocratie et de la lutte pour les valeurs de libertés dans un État de droit dont on ne peut plus faire l'économie.
La réformette proposée par le gouvernement est néfaste, car elle ne traite pas la cause réelle du fléau qu'est la toxicomanie, ne s'attaquant pas uniquement à ses acteurs que sont les trafiquants, continuant à réprimer les victimes que sont les consommateurs.Ceux-ci, surtout quand ils sont tombés dans le piège des réseaux de la drogue doivent être aidés et non harcelés et punis, livrés à cette fabrique de la délinquance que sont devenues nos prisons, alimentées de plus par des législations ineptes.
Prisons surpeuplées du fait d'une législation inepte
Dans un rapport exhaustif sur les prisons en Tunisie, présenté il y a un an par le bureau de Tunis de son Haut Commissariat aux Droits de l'Homme, L'ONU a fait le terrible constat que nos prisons étaient surpeuplées avec des conditions de vie pénibles pour cause d'une législation répressive inadaptée sur les stupéfiants.
Outre un surpeuplement intolérable, le délabrement des infrastructures et leur mauvais état mettent en danger la santé des détenus déjà pénalisés par une hygiène insuffisante et brimés par des pratiques abusives.
En matière de sociologie carcérale, le rapport signale que l'âge moyen des détenus varie entre 18 et 49 ans avec 60 % de récidivistes avec une cohabitation systématique, du fait du surpeuplement, des auteurs de délits mineurs et des meurtriers.
Le rapport pointe du doigt le fait alarmant que les auteurs de délits mineurs sont surtout d'innocents étudiants et des jeunes dont le seul tort est d'avoir consommé du cannabis, une pratique courante chez la jeunesse partout dans le monde.
Le constat est accablant: 53% des jugements d'emprisonnement sont rendus pour infraction à la législation sur les stupéfiants, particulièrement pour la consommation du cannabis. À la fin de septembre 2013, sur 25.000 détenus, 8.000 de la population carcérale l'étaient pour la plupart pour consommation de cannabis.Aussi, le rapport réclame la dépénalisation absolue de la consommation et l'option exclusive pour les peines alternatives à la prison, comme des condamnations aux travaux d'intérêt général.
Avec raison, il juge la loi n° 92-52 du 18 mai 1992 réprimant la consommation de cannabis, objet de la soi-disant réforme annoncée par le ministre de la Justice, comme étant l'une des plus répressives dans le monde, la déclarant trop injuste, ne supposant pas de réforme, mais une abolition pure et simple.
L'ONU recommande la totale dépénalisation
Un autre rapport de l'ONU, celui de la Commission globale sur la politique des drogues, publié il y a peu, dénonce à son tour sévèrement les mesures jugées cruelles en vigueur de par le monde en matière de pénalisation de la consommation de la drogue.Intitulé "Prendre le contrôle: Sur la voie de politiques efficaces en matière de drogues", il juge qu'il est temps de rompre avec une législation devenue criminelle en se focalisant sur les consommateurs qui ne sont que des victimes, et ne faisant rien de sérieux contre les trafiquants.
La force du rapport est de comporter de sérieuses recommandations efficaces pour remplacer les mesures ciblant juste les innocents consommateurs que la répression transforme en délinquants.
Rappelant la loi sociologique classique qui veut que la répression aveugle, la plus sévère soit-elle - telle la nôtre et qui sera maintenue malgré la réformette -, ne saurait éradiquer un phénomène social si elle en néglige les vrais ressorts, le rapport soutient qu'en matière de drogue, le ressort principal reste la filière des revendeurs, jamais les consommateurs.
Relevant l'augmentation continue du chiffre des consommateurs dans le monde, passant à 243 millions en 2012 alors qu'il n'était que de 203 millions en 2008, l'ONU insiste sur la nécessité de distinguer entre l'usage et la vente de la drogue, le premier ne devant pas être criminalisé contrairement à la seconde, notamment celle des filières des bandes organisées.Cet énième rapport vient ainsi interpeller nos dirigeants, appelants à humaniser l'idéologie dominante en matière de lutte contre la drogue, "seule manière de réduire à la fois la mortalité, la morbidité et les souffrances liées à la drogue et la violence, ainsi que la criminalité, la corruption et les profits illicites favorisés par les politiques prohibitionnistes inopérantes".
C'est le marché qui doit être surveillé et réglementé et non les jeunes et les consommateurs, l'État devant veiller surtout à "ôter du pouvoir au crime organisé" tout en s'employant avec les associations concernées à "atténuer les dommages sociaux et sanitaires" causés par ce fléau.
Nécessaire dépénalisation totale de la consommation
En Tunisie, plus que jamais, la dépénalisation totale de la consommation doit être consacrée. Outre les raisons ci-dessus rappelées, elle s'impose du fait des acquis de la Constitution.
Il faut rappeler, à ce propos, aux islamistes qui freinent toute réforme sérieuse en l'objet qu'ils font du tort à notre religion en bloquant une réforme qui soit juste. Car il faut rappeler qu'en islam, quand le ratio intérêt/inconvénient de toute loi penche en faveur des inconvénients, l'urgence absolue est de ne pas l'appliquer, la législation devant être sinon tout bénéfice, du moins majoritairement bénéfique au croyant.
Or, il n'est plus besoin de démontrer que la loi sur le cannabis, ainsi que sa réformette telle que présentée, est majoritairement néfaste puisqu'elle créé la délinquance au lieu de la réduire.Nos prisons sont aujourd'hui surpeuplées avec une forte présence de simples consommateurs - occasionnels qui plus est - n'ayant eu que le tort de griller un joint. Au nom supposé de leur intérêt, on brise leur vie en les enfermant pour un temps suffisamment long au milieu de vrais délinquants, augmentant leur rejet d'une société injuste, en faisant des apprentis dociles pour les vrais délinquants.
Aujourd'hui, y compris du point de vue religieux, toute véritable volonté sincère en matière de réforme de la législation sur les stupéfiants ne peut qu'agir en vue de la totale dépénalisation de la consommation de cannabis, la loi ne devant réprimer que le trafic et les organisations criminelles, sinon elle sera illégitime et éthiquement injuste.
Source : ici
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